Tradition, religion, patriarcat, sexualité et préservation de la virginité ou encore relations internationales : les causes des mariages forcés sont diverses et complexes.

Formes et cause des mariages forcés en Suisse

Le libre choix du conjoint est un droit humain. Néanmoins, même en Suisse, des femmes et des hommes sont contraint-e-s de se marier contre leur gré.

Considérer le mariage forcé comme un phénomène qui découle uniquement de la religion ou de l’origine, revient à adopter un point de vue réducteur. Une telle perspective serait dénigrante et encouragerait les stéréotypes. Mais à l’inverse, le mariage forcé ne doit pas non plus être minimisé, car les personnes concernées souffrent de cette violation des droits humains.

« Le mariage ne peut être conclu qu’avec le libre et plein consentement des futurs époux »

Art.16 al. 2 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme

Les raisons principales sont à chercher dans les imbrications complexes des structures patriarcales, d’une survalorisation de la famille (familialisme) et de traditions néfastes (traditionalisme).

Il est important de noter que toutes les sociétés connaissent certaines pratiques culturelles néfastes. La Charte Africaine des Droits et du Bien-être de l’Enfant met en évidence les « coutumes et les pratiques négatives, culturelles et sociales » (article 21). En Suisse par exemple, les femmes du Canton d’Appenzell Rhodes-Intérieures se sont vu refuser le droit de vote général jusqu’en 1990. Ainsi, la norme consacrant le droit de vote universel (art. 21 de la DUDH) n’était alors pas respectée.

Dans ce qui suit, nous expliquerons les causes les plus importantes, leurs effets et les interrelations qui peuvent conduire à des situations de contraintes ou à des mariages forcés.

Les facteurs principaux

La contrainte autour des relations, de l’amour, de la sexualité, du couple et du mariage a un certain nombre de raisons. Mais les causes principales résident dans une surévaluation de la famille (familialisme), une orientation vers des traditions profondément ancrées (traditionalisme) et une domination masculine (patriarcat). Un certain nombre d’autres causes sont regroupées autour de ces facteurs.

Si le développement de chaque membre de la famille est clairement subordonné à la volonté du groupe familial, cela restreint la liberté d’action et de décision individuelle. La surévaluation de la famille amène à surévaluer également la volonté de la famille. Les traditions néfastes, telles que l’imposition de certains critères que le/la futur-e époux-se doit remplir, restreignent la liberté de choix et peuvent conduire à des mariages forcés. Un exemple serait celui des prescriptions relatives à l’endogamie (Voir aussi « Concepts et Définitions »). Enfin, la domination masculine, plus communément appelée patriarcat, prend de multiples formes. Dans sa forme sociale par exemple, elle s’observe par le fait que les femmes ne peuvent pas décider par elles-mêmes si elles veulent rester vierges jusqu’à leur mariage. Il existe également des schémas patriarcaux structurels en Suisse, comme notamment le fait que les femmes soient encore massivement sous-représentées en politique et dans les postes de direction d’entreprises.

La transnationalité comme cause – un aperçu

Les causes, et dans un même temps, les circonstances de la violence au sein de la parenté sont à chercher dans un contexte dépassant les frontières nationales (voir étude fédérale 2012 : p. 62) :

  • Injonction à l’endogamie (« Tu épouseras un homme de chez nous ! »)
  • Mariage comme mesure disciplinaire, également pour (ré)imposer certaines normes contrastant avec celles du pays de diaspora. Un Outplacement ou mariage forcé comme « punition » en réaction à des relations proscrites avant le mariage, un style vestimentaire jugé trop « libertaire », etc.
  • Des réseaux de parenté dans le pays d’origine et d’autres pays de diaspora sont mobilisés à des fins de discipline et de servilité. Souvent, la génération des enfants possède un plus grand pouvoir que celle des parents, et ce grâce à leurs ressources (notamment meilleure maîtrise de la langue, meilleures connaissances du pays, meilleure éducation)
  • Rôle de la réputation du style éducatif des parents vis-à-vis de leur parenté à l’étranger et dans leur pays d’origine : vision de la famille résidant en Suisse comme exemple pour la parenté à l’étranger (« En Suisse aussi, on éduque bien nos enfants ! », « Nous remplissons nos obligations ! »)
  • Community bonding solidaire, forte identification à une communauté d’origine à laquelle sont associées des normes, mais qui, dans le contexte de diaspora, est une construction (« imagined community »)
  • Des politiques migratoires restrictives en Suisse peuvent favoriser des mariages transnationaux qui deviennent alors une stratégie migratoire
  • Outplacement/enlèvement en vue d’un mariage : étant donné que le droit suisse ne permet pas le mariage en dessous de l’âge de 18 ans, les mariages de mineur-e-s sont souvent contractés à l’étranger puis reconnus ultérieurement en Suisse. Voir la rubrique « Enlèvement en vue d’un mariage à l’étranger ».

Effets d’influences multilocaux

Les différentes valeurs et normes ainsi que les différents modèles de vie – qui concernent également le mariage de mineur-e-s – ne devraient pas être considérés comme de simples « importations » de l’étranger. Des violences genrées sont commises au sein de la parenté même au sein de familles vivant en Suisse depuis plusieurs générations. Celles-ci font partie d’un contexte de migration et d’encadrement spécifique dans la société du pays d’accueil. Nous faisons donc la différence entre : l’effet de l’origine, de la migration et de la diaspora.

Effet de l’origine (société d’origine)

Les positions, attitudes, comportements, « traditions », mœurs, coutumes, normes d’une personne sont définis par son pays d’origine. Par exemple, les normes de virginité jusqu’au mariage ou de monogamie forcée pour les femmes (un seul homme dans la vie d’une femme : son mari) proviennent du contexte d’origine et marquent également les générations suivantes dans le pays de la diaspora.

Effet de la migration (pendant la phase de transition)

Les normes, les valeurs et les modes de vie évoluent pendant la phase de transition entre le pays d’origine et celui de la diaspora, comme en contexte de fuite.

Exemple : le pourcentage de personnes syriennes mariées mineures en Syrie est de 13% alors que dans les camps de réfugiés syriens en Jordanie, il s’élève à 32% (UNICEF 2014).

Les mariages de mineur-e-s peuvent augmenter dans les contextes de fuite, car ils sont considérés comme des moyens de protéger les jeunes femmes et jeunes filles contre les violences sexuelles. D’autres raisons, notamment économiques, jouent également un rôle dans ce type de décisions.

Effet de la diaspora (dans le pays de résidence)

Dans le pays de la diaspora, l’origine acquiert une nouvelle signification et devient fondatrice des identités. Le groupe d’origine se voit attribuer certaines caractéristiques, même si en soi, une « communauté » homogène de ce type n’existe pas. De ces prétentions « communes » peuvent naître des situations de contrôle et de contrainte. Si aux yeux de la « communauté », certaines personnes peu puissantes (jeunes membres de la famille ou femmes par exemple) disposent de plus de ressources, d’une meilleure formation ou de meilleures connaissances linguistiques, les personnes puissantes voudront par tous les moyens conserver leur influence (parents ou hommes par exemple). Lorsqu’il s’avère difficile et incertain d’assurer l’abstinence sexuelle des jeunes filles et donc de leur aptitude au mariage, comme dans l’environnement libertaire de la diaspora, l’âge des mariages peut être abaissé par rapport au pays d’origine.

« More importantly, men perceive that they are losing power just as women are gaining power both within and outside the home in the new host community. In dealing with the destabilization of masculinity that results from broader social, political, and economic sources outside the home, men may use violence against their intimate partner because their partners are easier targets than these more abstract sources, as a way to attempt to regain a sense of control over their lives. »

Alcalde Cristina M. (2011). Masculinities in Motion. Latino Men and Violence in Kentucky, in: Men and Masculinities, 14(4), 2011. S. 450-469.

Les autres facteurs

Les religions édictent des règles concernant le mariage et la sexualité qui s’y rattache. Dans de nombreuses religions, la sexualité prénuptiale et extraconjugale est taboue, ce qui augmente les pressions exercées pour un mariage. Ainsi cela peut également favoriser les mariages forcés. L’homosexualité est automatiquement considérée comme taboue puisque le mariage est aussi défini en termes religieux comme le lien entre une femme et un homme. Les personnes homosexuelles subissent parfois un mariage forcé comme mesure disciplinaire. Consulter la rubrique « Foire aux questions » pour plus d’informations sur le rôle de la religion dans les mariages forcés.

La définition claire des rôles des femmes et des hommes – « genderization » – contribue également aux contraintes du mariage, et le cas échéant, aux mariages forcés. Dans la société tamoule, une femme qui n’est pas mariée n’est pas considérée comme une adulte, mais comme une « fille ». Nous connaissons aussi cela dans le contexte francophone avec le terme « Mademoiselle », qui fait débat.

Si les rôles sexospécifiques ne sont pas respectés – par exemple, l’abstinence sexuelle avant le mariage pour les femmes, ou le mariage et la constitution d’une famille en soi – des mariages forcés peuvent avoir lieu. En ce qui concerne les hommes touchés par le mariage forcé, l’homosexualité non tolérée est aussi souvent un enjeu qui peut conduire les parents et le milieu familial à forcer la personne à conclure un mariage hétérosexuel.

En ce sens, le mariage forcé est une stratégie de contrôle de la sexualité. Celle-ci s’applique en particulier aux femmes. Parce que c’est sur leur « décence » (chasteté avant le mariage et fidélité dans le mariage) que se fonde l’honneur familial, les femmes sont donc contrôlées et ne disposent d’aucune marge de manœuvre pour façonner leur propre sexualité et pour choisir leur partenaire. Dans des cas extrêmes, cela peut conduire à des crimes dits d’honneur. De telles conceptions laissent peu de place à l’autodétermination, l’honneur ou le contrôle de la sexualité féminine deviennent alors une affaire de famille. Voir « Foire aux questions » et également cette page pour en savoir plus sur les crimes d’honneur.

De tels exemples démontrent que l’appartenance à un groupe ainsi que les normes collectives peuvent limiter l’individu dans l’exercice de sa liberté. Le sentiment d’appartenance à son groupe d’origine ou à sa famille est également quelque chose de positif. Cependant, si cette appartenance devient trop forte et prend tout l’espace au détriment de la dignité humaine de ses membres, comme c’est le cas pour le mariage forcé, elle peut devenir une entrave communautaire (voir « Community bonding »).

Dans le contexte de la migration, une tendance trop forte à s’orienter vers sa propre communauté peut aussi conduire à un repli sur le groupe d’origine (néo-ethnicisation, un retour vers la culture d’origine comme moyen de gérer la frustration et l’insécurité), à un retour à la religion (néo-religionisation) et à un recours aux traditions rigides (néo-traditionalisation). Ici, le terme néo est utilisé pour qualifier le fait que les personnes vont se tourner vers leur culture, tradition ou religion d’origine, qui ne faisait auparavant peut-être pas vraiment partie de leur vie et qui émerge, comme autant de références à un « nouvel imaginaire », dans un contexte de diaspora. Cette situation crée un environnement propice aux pratiques violant les droits de la personne, comme le mariage forcé. Voir l’« effet de l’origine », « l’effet de la diaspora » et « l’effet de la migration » dans la « Foire aux questions ». La norme de la virginité, par exemple, peut être plus importante dans la diaspora vivant en Suisse que dans le pays d’origine lorsque la société majoritaire suisse est jugée trop décadente et permissive sexuellement. Voir la rubrique « Foire aux questions ».

En ce sens, il s’agit d’une question d’identité et de démarcation, que nous appelons également « effet de la diaspora ». Certaines pratiques matrimoniales mettent l’accent sur l’identité de leur propre groupe par opposition à la société majoritaire ou à d’autres minorités.

Dans le contexte de la migration, l’accent mis sur son propre groupe et ses traditions peut également être motivé par l’expérience du racisme et de la discrimination dans la société suisse. Le vécu quotidien du racisme, de la xénophobie, de la discrimination sur le marché du travail et du logement ou autres, peut conduire à la frustration et au rejet de la société majoritaire suisse. Il ne s’agit pas d’excuser les violations des droits humains mais de rappeler que l’intégration est toujours un processus complexe et à double sens.

Les mariages forcés peuvent donc être les marqueurs d’une volonté de démarcation ou indiquer une absence, une insuffisance ou un échec d’intégration. Mais pas toujours : l’enseignement supérieur et un meilleur revenu ne sont pas des garanties de protection allant à l’encontre des mariages forcés, puisque ceux-ci se produisent également dans les familles bien intégrées sur le plan socio-économique.

Une situation économique précaire dans le pays d’origine accroît la pression sur certains groupes de migrants dans les pays de la diaspora. Par exemple dans le cas où il faut apporter un soutien financier à sa famille dans le pays d’origine, ou encore soutenir les projets migratoires et la promotion socio-économique des proches. Le mariage forcé devient alors une stratégie d’immigration pour échapper aux difficultés économiques ainsi que pour surmonter la résistance à l’immigration qui découle des politiques d’immigrations strictes. En effet, il est très difficile d’entrer en Suisse en provenance d’un pays tiers s’il n’existe pas de motifs d’asile ou de regroupement familial. Le mariage devient alors une solution envisageable.

Tout cela souligne les interdépendances globales (transnationalisme) qui relient les familles du pays d’origine et du pays de résidence, ainsi que les interdépendances transnationales du mariage qui en résultent. Cela est également dû aux inégalités économiques. Il va de soi que l’amour peut aussi tout simplement être la raison d’un mariage, dépassant volontairement les frontières ; rappelons qu’en Suisse, un mariage sur trois est désormais binational. Parfois, cependant, la pression en faveur de la solidarité familiale et du soutien aux entreprises migratoires conduit à des mariages forcés.

C’est souvent la génération des parents et des grands-parents qui, par leur pouvoir d’aînés (adultisme), initient ces stratégies dans lesquelles ils sont prêts à risquer un mariage forcé. Souvent, la jeune génération n’a pas son mot à dire, ou n’ose pas résister au système familial établi. De nombreux parents (ou proches) estiment avoir de l’expérience et pensent savoir quelle est la meilleure option pour leur enfant quand il s’agit de choisir un partenaire. Voir le chapitre « Idées reçues ».

Toutefois, la jeune génération dispose également de ressources qui permettent d’inverser la relation de dépendance avec leurs parents : dans le contexte de la diaspora, la première génération est dépendante de ses enfants dans de nombreuses situations quotidiennes. Effectivement, les jeunes parlent la langue locale, ont souvent de meilleures perspectives de carrière et connaissent mieux les procédures officielles et administratives. Cela leur permet de surmonter les déséquilibres de pouvoir et les dépendances.

Identité entre influences extérieures et autodétermination

Dans la société majoritaire et dans les communautés d’origine des migrants, il existe parfois des concepts moraux et des coutumes contradictoires concernant le mariage et l’union conjugale, la sexualité et le mode de vie.

Cette situation d’entre deux n’est pas évidente, surtout pour les jeunes issus de l’immigration, et peut conduire à une véritable épreuve car les deux environnements culturels jouent un grand rôle dans leur vie. Selon l’étude fédérale sur les mariages forcés en Suisse datant de 2012, 38% des personnes concernées sont nées en Suisse et 76% ont un permis de séjour C. Au Service contre les mariages forcés nous rencontrons plus de 80% de personnes concernées nées et/ou ayant grandi en Suisse. Pour plus d’informations, consulter le chapitre « Foire aux questions ». D’une part, les jeunes se réfèrent aux normes et aux valeurs du foyer parental et d’autre part, ils s’orientent vers la société majoritaire suisse, à travers leurs pairs, leurs amis, leurs collègues, comme le font tous les jeunes.

Dans certains cas, les personnes issues de l’immigration se détournent également de leur communauté d’origine, comme c’est parfois le cas des personnes concernées par le mariage forcé, car elles souffrent du poids des traditions et de la famille. D’autres en revanche, s’éloignent de la société majoritaire suisse car ils subissent parfois une discrimination négative dans la vie quotidienne, même s’ils ont grandi en Suisse. Vous trouverez de plus amples détails sur la page néo-traditionalisation, néo-ethnisation, néo-religionisation.

Modèle Multi-Moral dans le contexte de la migration

Nous avons développé ici un modèle dit multi-moral dans le contexte de la migration. Il est normal qu’il y ait une tension entre les revendications, les exigences et les attentes de la majorité (« surmoi social » sur le modèle) et ses propres désirs et besoins (« ça » sur le modèle). Ce défi de l’individu (« moi ») est exigeant et demande un contrôle de la réalité entre le « surmoi » et le « ça ». Pour les migrants cependant, les injonctions et les interdictions de leurs propres familles (« surmoi communautaire » sur le modèle) y sont ajoutées. Des exigences contradictoires obligent les jeunes issu-e-s de l’immigration à mener simultanément des vies distinctes dans des mondes différents. Cette multi-moralité est lourde à porter et conduit souvent à des déchirements psychiques.

Ainsi, il existe une tension entre les « deux mondes » et leurs différentes exigences, attentes et cadres normatifs, qui nécessite souvent des comportements contextuellement diamétralement opposés.  Il s’agit d’un côté du « monde » de la famille et de la communauté, opposé à celui de la société majoritaire suisse et de ses semblables.

Cela se voit par exemple, quand la question « As-tu un-e petit-e ami-e ? » est posée à une jeune femme issue de l’immigration.

Si la question est posée par des collègues, des pairs ou des membres de la société majoritaire, la réponse attendue est soit « oui », soit « pas en ce moment », ou « plus maintenant ». Il existe une « pression pour être ensemble », surtout chez les jeunes. Si une personne n’a pas de petit-e ami-e, elle peut être considérée comme anormale ou comme non désirée par le sexe opposé, ce qui est fortement lié à l’image qu’on a de soi-même et à la position parmi les pairs.

Pour la société majoritaire, une vie heureuse, le succès et l’accomplissement sont souvent assimilés à une relation de couple publiquement affichée, constante et monogame, mais pas forcément hétérosexuelle, ni uniquement réalisée dans le cadre d’un mariage.

Pour justifier son statut de célibataire, une personne doit avoir une explication toute prête en tête. « Je suis très occupée par mes études » ou « je n’en ressens pas le besoin actuellement ».

Tandis que si la question « As-tu un petit ami ? » est posée dans un cadre familial au sein duquel des contraintes autour du mariage et de la virginité sont exercées, la réponse à cette même question est un « non » catégorique. En effet, la jeune personne sait très bien que toute relation avant le mariage est taboue.

Face à des idéaux et des normes aussi contradictoires, les jeunes femmes (et les jeunes hommes également) sont souvent soumi-e-s à une double pression entre les attentes internes et externes à la parenté (voir hyper- et hypo-sexualisation). Cet écart entre leurs désirs et les attentes de l’environnement familial est lourd et conduit souvent à des déchirements psychiques.

Pour jouer avec cet « entre-deux », il leur faut faire preuve de créativité. En effet, la plupart des jeunes ne veulent pas se passer de relations amicales et amoureuses, ainsi si les parents ne sont pas au courant, ils élaborent des stratégies pour garder leurs secrets. Ils utilisent par exemple différentes cartes SIM. La confédération cite une jeune femme (08.08.2011, dans le journal « der Bund ») : « Avec les femmes, les parents décident qui doit être leur mari de vie », dit Jasmin. Mais elle voulait décider par elle-même et ne se laissait pas intimider. Encore et encore, elle a trouvé un moyen d’entendre ou de voir son petit ami. Son père a écrasé son téléphone portable sur le sol, mais Jasmin avait « mille autres cartes SIM ».» [08.08.2011]

Le téléphone mobile peut toutefois aussi révéler les secrets lorsqu’il est contrôlé à la maison. En outre, il ne faut pas sous-estimer la pression, les bouleversements intérieurs et la peur d’être découvert-e. Bon nombre de personnes concernées souffrent de problèmes psychologiques, d’anxiété, de dépression et de pensées suicidaires.

Au Service contre les mariages forcés, une femme sur trois âgée de 15 à 25 ans ayant été conseillée affirme avoir pensé au suicide ou l’avoir tenté. A cela s’ajoute les incitations au suicide qu’il ne faut pas non plus sous-estimer. Pour plus d’informations, consulter la rubrique « Suicide et suicidarité ».

Le modèle multi-moral sexuel

« L’entre-deux » des personnes issues de la migration et concernées par les mariages forcés se laisse particulièrement bien expliquer par la question de la sexualité. Celle-ci constitue un facteur central des mariages forcés, car une morale sexuelle rigide lie la sexualité au mariage.

L’expression « double morale sexuelle » est utilisée lorsque les valeurs morales de la communauté d’origine ne correspondent pas à celles de la société majoritaire et que les personnes développent une attitude intermédiaire de façon à appréhender cette dissonance. Par exemple, certains jeunes hommes peuvent ne pas avoir de problème avec la liberté de mouvement de certaines femmes qui n’appartiennent pas à leur groupe de référence, mais ils ont des convictions morales différentes au sujet des femmes de leur propre communauté. Dans un certain nombre de cas, un jeune homme issu de la migration a une petite amie suissesse, mais subit ensuite des pressions pour épouser une femme de sa communauté d’origine. S’il accepte, c’est alors aussi son ex-partenaire qui souffre avec lui. Cette situation conduit souvent à des « trilemmes » : une contrainte, deux relations, trois personnes impliquées.

La multi-moralité sexuelle comprend les besoins, les désirs et les dépendances individuelles. Ces jeunes se dirigent vers leurs pairs et la société majoritaire dans laquelle ils vivent, mais aussi vers le foyer parental et la socialisation morale qu’ils y ont reçue. Il est possible que ces jeunes gens soient exposés à de grandes dissonances psychologiques qui, en fin de compte, déterminent leur propre façon d’aborder les relations et leurs attitudes envers l’amour, la sexualité, le mariage et l’union conjugale.

Le symbole le plus important d’une morale sexuelle rigide est celui de la virginité. Il résulte de l’idée d’une monogamie à vie pour les femmes ; cela signifie que tout au long de sa vie, une femme ne peut avoir de rapports sexuels qu’avec son mari. Le culte de la virginité exige des jeunes femmes qu’elles vivent dans l’abstinence jusqu’à leur mariage, faute de quoi elles sont passibles de sanctions. Bien qu’il soit scientifiquement prouvé que seulement la moitié des femmes saignent pour la première fois, le sang sur les draps correspondant à la déchirure de l’hymen est considéré comme une « preuve » de virginité.

Les jeunes femmes sont donc soumises à de fortes pressions, en particulier lorsqu’elles ont déjà eu des rapports sexuels, mais cela peut aussi être simplement la crainte de ne pas saigner et de ne pas être crue. Il existe des possibilités de leurre sur le marché, comme les capsules de sang ou l’hymen artificiel. La directrice d’une société de distribution d’hymen artificiel explique que « cinq à dix commandes par mois viennent de Suisse et la tendance est à la hausse ». La gamme comprend deux teintes : rouge cerise pour le sang frais et brun rougeâtre pour le sang sec.

Certaines femmes subissent également une restauration médicale de l’hymen. L’Hôpital universitaire de Bâle a évalué à 60 le nombre de cas par an en Suisse et le nombre de cas non déclarés est probablement bien plus élevé. De nombreuses personnes concernées par cette situation de contrainte souhaitent préserver leur virginité sans pour autant renoncer à la vie sexuelle avant le mariage ; elles résolvent cette situation en évitant les rapports sexuels ou la pénétration vaginale. Inversement, les rapports sexuels avant le mariage peuvent également conduire à l’obligation de se marier. Le film « Der Jungfrauenwahn » de la réalisatrice Güner Yasemin Balci aborde également ces questions de double, ou multi-morale autour de la virginité. Voir la section « Concepts et Définitions ».

Moyens de pression autour du mariage forcé

La pression pour contracter un mariage forcé peut devenir si forte que certaines des personnes concernées se soumettent à leur prétendu destin. Ces cas conduisent à un nombre élevé de mariages forcés non signalés – nous considérons que les consultations représentent uniquement la « pointe de l’iceberg ». Pour ceux et celles qui cherchent des issues et du soutien, voir « Ce que nous faisons ».

Les personnes concernées souffrent avant tout du conflit entre leur besoin de liberté et la loyauté envers leur famille. Si cette dernière est plus forte, elle les conduit à se soumettre à leur sort.

Le mariage forcé implique souvent des moyens de pressions très subtils. C’est pourquoi il est difficile d’identifier les facteurs également impliqués dans la violence domestique. Avant l’introduction de l’infraction du mariage forcé, il était très difficile de prouver l’existence d’une « contrainte », terme qui inclut la violence physique et sexuelle ainsi que la contrainte psychologique grave. Voir aussi les informations disponibles à ce sujet sous « Droit et Lois ». Il existe des cas de violence genrée au sein de la famille, mais la forme la plus courante de mariage forcé procède par chantage affectif. Ce sont souvent des mères qui accusent leur enfant « insoumis-e » d’être responsable de leur maladie ou qui menacent de se donner la mort. Cette situation entraîne un stress sévère et une forte anxiété psychologique.

Les personnes concernées sont souvent contrôlées à outrance. La liberté de mouvement est restreinte, la fréquentation de l’école ou du travail n’est possible que si la personne est accompagnée de son frère aîné. De nombreux contacts – en particulier avec les hommes – sont interdits. Ce pouvoir de contrôle peut aller jusqu’à l’isolement et la séquestration. Les femmes sont particulièrement touchées, mais pas uniquement puisque la répression et le contrôle par les membres de la famille peuvent également concerner les hommes.

La surveillance excessive exercée par les membres de la famille prend la forme d’un « stalking » lorsque les personnes concernées sont constamment observées, harcelées et traquées.

Les familles peuvent également exercer une pression économique sur les personnes concernées, par exemple en bloquant leurs comptes bancaires. Si les jeunes sont encore financièrement dépendants de la famille, cette menace économique a un impact considérable et limite leur marge de manœuvre. Les personnes concernées qui ont leur propre revenu ont plus de chances de pouvoir louer leur propre appartement, par exemple.

Les personnes concernées peuvent aussi craindre la perte de leur statut de résident, tel qu’un titre de séjour ou d’établissement en Suisse, par exemple dans les cas où leur famille les obligerait à rentrer dans leur pays d’origine et à y demeurer. Il s’agirait alors d’un renvoi dans le pays d’origine ou à l’étranger et d’un séjour forcé dans ce pays (Outplacement). Il n’est pas rare que les personnes concernées y soient aussi menacées de mariage forcé. Dans de tels cas, la législation suisse a également un effet négatif sur elles. En effet les personnes concernées n’ayant pas la nationalité suisse perdent leur autorisation de séjour et ainsi leur droit de retour si elles restent à l’étranger pendant plus de 6 mois. Voir « Droit et Lois ». C’est précisément ce qui peut leur arriver si elles sont empêchées de revenir et privées de leur passeport, de liquidités et de moyens de communication dans leur pays d’origine. Dans le cas des mineur-e-s, les parents ont les pleins pouvoirs et peuvent, par exemple, simplement radier leurs enfants de l’état civil. Pour en savoir plus sur l’Outplacement, voir « Ce que nous faisons ».

Des menaces de violence ou de mort surviennent également dans le contexte des mariages forcés et peuvent avoir un effet d’intimidation considérable sur les personnes qui sont concernées par le mariage forcé. Lorsqu’elles craignent ou vivent cette violence physique, le danger est alors imminent et les personnes touchées doivent quitter leur famille – au moins temporairement – afin de ne plus être en danger. En savoir plus sur « Ce que nous faisons ».

La famille ainsi que la communauté exercent des pressions psychologiques sur les personnes concernées et quiconque enfreint les règles fait l’objet d’ostracisme. Par exemple, quand un couple non marié est vu main dans la main, les communautés traditionalistes y réagissent souvent par des rumeurs calomnieuses qui portent systématiquement atteinte à la réputation des personnes concernées. Cela peut également affecter toute leur famille et avoir un effet à très long terme. Par conséquent, une famille renforce souvent ses mesures de contrôle et un mariage forcé est contracté précisément dans les cas où la réputation familiale est en jeu . Dans notre film sur le mariage forcé, un protagoniste masculin d’origine turque dit que sa famille se préoccupait surtout de ce que pensaient « les autres », ce à quoi il répond « je ne suis pas marié aux autres ». En fin de compte, il a agi de façon autodéterminée et s’est séparé de sa femme. Pour de plus amples informations, voir « Ce que nous faisons ».

Qui est touché par le mariage forcé ?

Étendue du phénomène

En 2006, la Fondation « Surgir » a calculé le chiffre controversé de 17’000 cas pour l’ensemble de la Suisse. Ce chiffre a été extrapolé à partir de 400 cas avérés. Une étude réalisée par la Confédération en 2012, basée sur une enquête auprès des points de contact et des institutions de protection, a révélé 700 cas de situations forcées par an. Il s’agit notamment de mariages forcés, d’interdictions d’aimer et d’unions conjugales forcées (contrainte à rester marié).

En comparaison, la Forced Marriage Unit (FMU), le service central britannique contre le mariage forcé, a enregistré 1 355 consultations en 2019. Le Service contre les mariages forcés a conseillé quelque 2750 cas depuis le début de ses consultations en 2005 (statut d’août 2020).

A ce jour, il n’existe pas d’étude scientifiquement représentative de l’ampleur exacte des mariages forcés en Suisse. Il est admis que le nombre de cas non signalés est bien plus élevé mais des recherches plus approfondies restent nécessaires dans ce domaine. Voir « Foire aux questions ».

Origine(s) des personnes concernées

L’étude fédérale a identifié les « Balkans » (réunissant les personnes originaires d’Europe du Sud-Est occidentale, comme le Kosovo, la Serbie, la Macédoine, la Bosnie-Herzégovine, l’Albanie, etc.), la Turquie et le Sri Lanka comme trois régions d’origine des personnes fréquemment concernées par les mariages forcés en Suisse. Aux États-Unis, par exemple, le troisième groupe le plus concerné vient du Mexique. D’autres femmes et hommes concernés viennent de divers pays dont l’Érythrée, la Somalie et l’Éthiopie, ainsi que d’Irak, d’Iran, d’Afghanistan, du Pakistan et de Syrie. Les mariages forcés peuvent se produire dans les communautés chrétiennes, musulmanes, hindoues, juives, bouddhistes, athées et autres. Voir « Foire aux questions ».

Le mariage forcé peut concerner non seulement les communautés moins privilégiées ou marginalisées sur le plan éducatif, mais aussi les groupes de personnes privilégiées, comme en témoigne un exemple tiré de nos consultations qui porte sur une Européenne hautement qualifiée d’origine indienne travaillant pour une multinationale en Suisse. Parce qu’elle avait atteint l’âge de 26 ans, elle a été obligée de se marier pour ne pas devenir « vieille fille ».

Le mariage forcé ne concerne pas uniquement les femmes

Contrairement à l’idée largement répandue selon laquelle seules les femmes peuvent être concernées par les mariages forcés ou les unions conjugales forcées, ce sont également des hommes qui ont bénéficiés de nos services et ce, dans 18% des cas à ce jour. Au Royaume-Uni, une enquête a montré qu’en 2016, 20% des cas de victimes de mariages forcés présents dans les centres de consultation étaient des hommes. Voir « Idées reçues ».

Parallèlement aux hommes, il est également important de souligner les constellations de couples concernées. Les personnes homosexuelles sont également concernées par le mariage forcé en raison de leur orientation sexuelle, connue ou non dans leur environnement.

Les mineur-e-s sont également concernés

En 2018, la Forced Marriage Unit (FMU), le bureau central du gouvernement contre le mariage forcé en Grande-Bretagne, a conseillé 1 764 cas. Dans 574 cas, soit 33% de la totalité, il s’agissait de personnes mineures. En 2012, l’étude fédérale concernant la Suisse atteignait presque la même proportion de personnes de moins de 18 ans, avec 27% des cas. Par ailleurs en Suisse, le Service contre les mariages forcés a enregistré une forte augmentation des cas de mineurs depuis 2016.

Un autre groupe vulnérable, celui des personnes en situation de handicap, est concerné dans 93 cas, soit 5.3% des cas présents au Royaume-Uni en 2018. Le Service contre les mariages forcés s’occupe également de ce groupe de personnes en Suisse.

Première ou deuxième génération ?

80% des personnes qui ont obtenu un soutien de notre service spécialisé sont des personnes de deuxième ou troisième génération. Selon l’étude fédérale de 2012 sur les mariages forcés en Suisse, 38% des personnes concernées sont nées en Suisse. Les jeunes adultes de deuxième ou troisième génération ayant passé une partie ou la totalité de leur enfance en Suisse sont donc le plus souvent concernés par les mariages forcés. Ils et elles sont aussi plus enclins à se défendre contre leur situation de contrainte grâce à leur socialisation et à leur bonne connaissance de leurs droits. Selon l’étude fédérale de 2012 portant sur les mariages forcés en Suisse, 38% des personnes concernées sont nées en Suisse. Voir les rubriques « Foire aux questions » et « Idées reçues ».

Ces générations se marient souvent de façon endogame, c’est-à-dire avec une personne de leur propre groupe d’origine. Si elles parviennent à faire venir une personne de leur pays d’origine en tant que conjoint-e, nous parlons alors d’effet Da Capo. Avec cet effet, l’expérience de la première génération est répétée et, en termes de génération, tout recommence. Les descendants de cette union ne peuvent désormais plus compter parmi la génération suivante.

Les raisons du mariage avec un-e conjoint-e du pays d’origine sont, par exemple, la pression familiale en matière de promotion socio-économique, mais elles sont aussi le plus souvent de nature « morale ». Les parents préfèrent une femme « intacte » de leur pays d’origine pour leur fils et y voient l’occasion de ramener leurs fils sur le « droit chemin », c’est-à-dire sur la voie de la tradition, de la « culture » et de la religion de leurs parents et grands-parents. Le terme « mariée importée » (avec une connotation négative) s’est donc imposé dans les médias. Les jeunes hommes sont également touchés par cette forme de mariage forcé.

Les conjoint-e-s qui suivent dans le pays de diaspora peuvent se retrouver dans une situation de dépendance aiguë. Ils peuvent être exposés à de fortes pressions de la part de la famille du partenaire qui se trouve déjà dans le pays de résidence. A cela s’ajoutent les dépendances sur les plans économiques et financiers, ainsi qu’une pression importante en rapport avec le statut de résidence acquis par le mariage, qu’ils perdraient en cas de divorce. Ces personnes ne disposent généralement pas d’une connaissance suffisante de leurs possibilités juridiques quant à leur installation en Suisse. Effectivement, un grand nombre ignore que les personnes concernées par les mariages forcés, les mariages de mineurs ou les violences domestiques peuvent obtenir le droit de rester, quel que soit leur statut matrimonial. Elles n’ont donc pas à retourner dans leur pays d’origine en cas de divorce ou de séparation. Voir à la rubrique « Droit et Lois ».